Nous avons reçu en exclusivité cette lettre ouverte de Maître Danglehant, défenseur de deux des six généraux poursuivis par le régime au pouvoir, pour avoir défendu, sur les médias, une tribune signée par 61 généraux et 27.000 militaires.
Dans cette lettre, s’appuyant sur des éléments historiques et juridiques incontestables, l’avocat des militaires démontre l’incompatibilité de la procédure engagée avec une justice équitable, et demande la mise en place d’une vraie juridiction disciplinaire qui leur garantisse un procès équitable.
Or, pour l’instant, ils sont jugés coupables avant d’être jugés, et la seule compétence de la “Section spéciale” qui va rendre la sentence est de savoir à combien se monte la condamnation qui doit les frapper.
Une procédure mise en place pour la dernière fois en 1941, sous le régime de Vichy…
LETTRE OUVERTE
Ministère de la Défense
Madame Florence PARLY
Ministre de la Défense
Procureur disciplinaire
Aff. : 2-52
Madame la Ministre,
Madame le Procureur disciplinaire,
J’ai l’honneur de vous adresser la présente en qualité d’avocat de Messieurs les Généraux André COUSTOU et Dominique DELAWARDE, qui font l’objet d’une procédure disciplinaire sur l’acte d’accusation que vous avez rédigé contre eux.
Vous avez été nommé en qualité de Ministre de la Défense par le Président de la République Monsieur Emmanuel MACRON et à ce titre, le Code de la défense fait de vous un « Procureur disciplinaire » chargé le cas échéant, d’ouvrir une procédure disciplinaire contre les personnes justiciables de la justice disciplinaire prévue par le Code de la défense.
Au travers la présente, je souhaite attirer votre attention sur le fait que la justice disciplinaire prévue par le Code de la défense, n’apparait plus constitutionnellement compatible avec le principe du procès équitable et la CESDHLF.
Je pense que vous pouvez convenir que les personnes qui s’engagent au service des Armées et qui y consacrent toute leur vie, engagement qui peut aller jusqu’au sacrifice de sa vie, sont en plein droit d’avoir un procès équitable en cas d’accusation de nature disciplinaire.
Or, la procédure disciplinaire prévue par le Code de la défense est engagée par un acte d’accusation dressé par le Ministre de la Défense. Cette situation pose une grave difficulté au regard du principe de la séparation des pouvoirs, car sur votre personne se cumule une fonction exécutive (membre du gouvernement) et une fonction de nature juridictionnelle, le pouvoir d’engager une procédure disciplinaire.
Cette difficulté « sur le papier » est aggravée par la pratique usuelle. En effet, dans la procédure concernant le valeureux Général Christian PIQUEMAL, le décret du 23 août 2016 a été signé par le Président de la République, mais aussi par Monsieur Jean-Yves LE DRIAN es qualité de Procureur disciplinaire.
Je regrette de le dire mais, il s’est agi d’une immixtion inacceptable et rédhibitoire d’une autorité de poursuite dans l’exercice de la fonction juridictionnelle disciplinaire. Est-il imaginable qu’un Procureur de la République signe la décision prise par un tribunal correctionnel ? Bien évidemment non. Il conviendrait dès lors d’en tirer une solution rétroactive aussi immédiate que salvatrice pour nos institutions, notre armée.
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La procédure disciplinaire prévue par le Code de la défense est encore critiquable du fait que le Président de la République (Chef de l’Exécutif) est l’organe qui inflige la sanction disciplinaire, sous le contrôle du Conseil d’Etat.
Dans un Etat de droit, une même personne peut-elle cumuler une fonction exécutive et une fonction juridictionnelle ? Non bien évidemment, sur le fondement du principe de séparation des pouvoirs aggravé en l’occurrence par la séparation des fonctions.
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Enfin, le Président de la République est au cas d’espèce, l’organe qui inflige la sanction (Fonction juridictionnelle), mais sans que la personne mise en accusation n’ait jamais été déclarée préalablement coupable par un « organe disciplinaire ».
Au cas d’espèce, un conseil supérieur prend de manière collégiale un avis sur la sanction quipourrait être appliquée. Vous pouvez convenir que cette situation n’est pas conforme au principe élémentaire du procès équitable, lequel impose d’abord de discuter de la culpabilité éventuelle PUIS de prendre une décision sur la culpabilité qui ENSUITE peut OU NON aboutir à une relaxe. Le tout avant toute discussion sur la peine applicable et seulement EN CAS DE DECLARATION DE CULPABILITE.
Il s’agit d’une situation qui est l’actuelle et déplorable conséquence d’une application réductrice et incompatible au principe sacré de présomption d’innocence.
Toute personne accusée est présumée innocente, tant que sa culpabilité n’a pas établie par une juridiction établie par la loi et c’est alors et seulement dans ce cas, lorsque la culpabilité a été établie, qu’il sera possible de discuter de la peine applicable.
BREF, la procédure disciplinaire prévue par le Code de la défense, permet voire impose aujourd’hui le prononcé d’une sanction disciplinaire, sans conduite préalable d’une discussion sur la culpabilité, puisque sans déclaration préalable sur la culpabilité ; résultat (inique) qui caractérise la négation du principe de présomption d’innocence.
Dans les faits, la déclaration de culpabilité se retrouve « logée » de manière implicite et irrévocable dans l’acte d’accusation disciplinaire même et alors même qu’il a été dressé par le Ministre de la Défense.
Cette procédure disciplinaire a été édictée par décret après avis du Conseil d’Etat, or il est certain que les deux grandes personnalités qui ont construit la gloire de cette juridiction, Édouard LAFERRIERE et Bruno ODENT, n’ont jamais pu honnêtement concevoir une configuration de cette nature.
La dernière fois qu’en FRANCE « on » s’est engagé sur une pente aussi glissante, fut en août 1941 au moment de la création de la justice de type « Section spéciale », un système qui a passé par pertes et profits les principes traditionnels qui gouvernent toutes les procédures de nature pénale depuis cette époque trouble.
Rappelons que le projet de loi portant création des juridictions de type « Section spéciale » a été présenté à l’hôtel MEURICE au major BLEUMENTEL par Fernand DE BRINON et par un conseiller d’Etat, le dénommé Jean-Pierre INGRAND. Qu’est-il devenu ?
A la fin de la guerre, Jean-Pierre INGRAND s’est enfuit en ARGENTINE et y restera toute sa vie, pour fuir la justice républicaine de la France. Peu avant sa mort, Jean-Pierre INGRAND a donné un entretien au journal l’EXPRESS, pour confesser son manque de discernement lors de sa participation active au gouvernement jusqu’en
1944 (PJ1).
Le manque de discernement voilà la faiblesse des hommes et des femmes à égalité. Jean-Pierre INGRAND a reconnu avoir manqué de discernement, lorsqu’il a participé à la mise en place de la justice de type « Section spéciale » : « qu’il ne fallait pas ……. ! »
Dans ces juridictions affreuses là, au cours du délibéré, « on » ne discutait pas de la culpabilité, on discutait uniquement de la peine applicable, comme dans la justice disciplinaire prévue par le Code de la défense, car la culpabilité était fixée de manière implicite et irrévocable par l’acte d’accusation. Comme maintenant, encore et donc dans nos conseils de disciplines actuels.
Fin août 1941, lorsqu’il a été question de mettre en place la première « Section Spéciale » à PARIS, presque tous les magistrats refusèrent dans un premier temps de siéger dans cette juridiction d’exception.
C’est un fait historique déplorable. A ne pas réactiver ni tolérer passivement en 2021.
Dans cette affaire, le Procureur de l’Etat de la cour d’appel de PARIS s’est adressé à 3 avocats généraux pour leur dire : il me faut 6 condamnations à mort pour dans 3 jours. Bien évidemment, le fait que vous ayez engagé 6 procédures disciplinaires n’est que pure coïncidence et il n’est presque pas question ici de faire des amalgames et de vous reprocher d’avoir voulu reprendre de près ou de loin le scénario du mois d’août 1941.
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SERIEUSEMENT et CONCRETEMENT
Les généraux qui vous adressent la présente, vous demandent donc et demandent à Monsieur le Président de la République de prendre le temps de la réflexion et de nommer d’URGENCE une commission pour préparer la refonte de la procédure disciplinaire prévue par le Code de la défense.
De mettre fin, ce faisant, à un délitement du système dont vous ne risquerez ainsi plus jamais de subir sinon et plus tard mais encore et à coup sûr des conséquences historiques désastreuses. A tout le moins, personne n’est obligé de mettre en oeuvre la procédure actuelle et peut à tout moment démissionner de ses fonctions, pour ne pas participer à un processus disciplinaire qui n’est manifestement pas conforme au principe du procès équitable, en appuyant sa conscience sur le testament de Jean-Pierre INGRAND, de manière à éviter d’être pris dans un manque de discernement et de le regretter par la suite.
Les généraux susvisés, sujets de la poursuite disciplinaire ne demandent par la présente strictement aucun passe-droit, aucune faveur, ils demandent uniquement à pourvoir bénéficier d’un procès équitable à l’issue duquel sera décidé :
– De la culpabilité éventuelle sur tel fait commis tel jour à tel heure en tel lieu ;
– et en cas de déclaration de culpabilité, une discussion sur la peine pourra être
conduite.
Pour faire simple, les 6 Généraux qui font l’objet de la poursuite disciplinaire demandent à comparaitre devant une juridiction disciplinaire de plein contentieux (procès équitable) qui disposera de la compétence pour se prononcer sur la culpabilité et sur la peine, ce qui n’est pas le cas de la justice disciplinaire prévue en l’état par le Code de la défense.
Je vous souhaite une bonne réception de la présente. Dans cette attente et celle de votre réponse écrite et motivée, veuillez agréer, Madame la Ministre de la Défense, Madame le Procureur disciplinaire, l’expression de mes salutations respectueuses et les plus distinguées.
François DANGLEHANT